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Delphine Reynaud et Victor Emmanuel de Savoie

Chose promise, chose due ! J’avais conclu ma précédente chronique en annonçant l’évocation de ma grand-mère, Delphine Reynaud – née Gaden - fille de Dophe. Je ne m’y dérobe donc pas, malgré la nouvelle, que je ne peux passer sous silence, du décès de Victor Emmanuel de Savoie, le 3 février dernier à l’âge de 86 ans . Un rapprochement incongru, me dira-t-on, entre une institutrice intègre et dévouée et un aristocrate qualifié de sulfureux. Cependant, la comparaison peut être révélatrice de l'ambiance de toute une époque.

Dophe, républicain convaincu, ayant vendu ses biens pour l’instruction de ses enfants, a permis à ma grand-mère de faire suffisamment d’études pour devenir enseignante. Elle débuta à l’école de la Combe, puis à Jarrier où elle terminera sa carrière en 1941. Nourrie aussi bien des œuvres de Victor Hugo que des principes républicains de son père, elle peut, à juste titre, être qualifiée de hussard noir de la république. Cette expression est due à Charles Péguy qui a ainsi caractérisé les instituteurs et également les institutrices dont la mission fondamentale était d’assurer l’instruction obligatoire, gratuite et laïque, le principal chantier de la IIIe République.

Victor Emmanuel de Savoie est le fils d’Umberto II, le dernier roi d’Italie (et donc de Sardaigne) qui régna brièvement de mai à juin 1946. Il a quitté son pays à l’âge de 9 ans, banni avec tous les descendants mâles de la maison royale par la Constitution de 1946 pour sanctionner la collaboration de son grand-père, Victor Emmanuel III, avec le régime mussolinien.

Le prince exilé, qui mena une vie d’affairiste, fut poursuivi pour la mort en 1968, qualifiée ensuite d’accidentelle, d’un vacancier allemand. En 2006, c’est une histoire de proxénétisme et de machines à sous qui l’envoie une semaine en prison et un mois aux arrêts domiciliaires. En 2007, avec son fils, Emmanuel Philibert, héritier présomptif du trône d’Italie, époux de l’actrice Clotilde Courau, ils avaient réclamé en 2007 un conséquent dédommagement en réparation de l’exil et la confiscation des biens de la famille. Cette démarche fut vite abandonnée au vu du tollé qu’elle provoqua au sein de la population italienne.

Ces deux personnages, ma grand-mère et Victor Emmanuel de Savoie ,nous ramènent aux heures les plus sombres de notre histoire. Delphine Reynaud a vécu au moment où se côtoyaient au pouvoir : Philippe Pétain, Adolf Hitler, Benito Mussolini et Francisco Franco. Elle en a payé le prix, puisqu’elle fut poussée à la retraite à l’âge seulement de 53 ans, une pratique courante m’a-t-on dit (mais cela reste à confirmer), qui aurait eu pour but, d’éliminer ces mal-pensants de hussards noirs ! Dans son journal, qui fut publié dans la Maurienne, elle relate la visite de Pétain à Saint-Jean-de-Maurienne le 22 septembre 1941, un événement grandiose qui lui procurera cependant un certain malaise. Mais nous en reparlerons dans une chronique ultérieure.

 

Ce n’est pas terminé ! Dans le prochain épisode, nous tirerons les enseignements de cette période, il faut y revenir, rien n’est jamais acquis !

Jean-Michel Reynaud