Delphine Gaden et Victor Emmanuel (suite)

Nous voici de retour, pour la suite de la confrontation entre ma grand-mère Delphine Gaden et le roi Victor Emmanuel III d’Italie dont j’ai esquissé le ce rapprochement à l’occasion du décès de ce dernier.

Je cite ma grand-mère qui écrivait dans son journal la visite du maréchal Pétain à Saint-Jean-de-Maurienne le 22 septembre 1941 :

« Nous sommes partis à 7 h du chef-lieu, tout Jarrier cheminait dans le chemin creux qui mène à la ville. Saint-Jean avait son aspect des grands jours. Le principal de la fête eut lieu place de la Cathédrale, toutes les sociétés, tous les groupements étaient rangés selon leur importance. La foule était nombreuse.

Une Madelon, haute de trois mètres, se tenait droite sur un socle qui ressemblait à un échafaudage. Elle portait le costume des paysannes de chez nous (assez bien imité). Sur la poitrine, on remarquait la croix d’argent et le cœur fixés à un ruban noir, dans ses mains jointes, un paroissien.

Elle semblait de diriger vers la cathédrale. Tout ceci me parut un symbole. J’eus un serrement de cœur, mais il n’en parut rien. Une dame vint nous inviter à monter au balcon de son appartement pour voir l’ensemble des groupements. J’y allais sans enthousiasme et je continuai à voir se dérouler la cérémonie qui fut d’un effet très réussi grâce aussi au temps splendide qui nous favorisait. J’étais agitée de sentiments divers et complexes. Je ne prends pas parti, pour les différentes opinions exprimées. L’Histoire nous éclairera. »

Le 21 août de la même année, elle écrivait :

« Poète de tous les temps, que dirait Victor Hugo, ou plutôt quels ouvrages écrirait-il au sujet de tels événements ? De tels hommes devraient vivre toujours. Pourquoi sont-ils soumis à la commune loi ? Sommes-nous arrivés au chaos formidable, d’où sortira, selon lui, l’Europe de demain ? Je ne sais. Je m’efforce, à travers les textes, de comprendre la pensée de l’écrivain qui est sûrement un précurseur. En attendant, des peuples entiers souffrent et meurent par le glaive ou la faim. Ici, on se douterait à peine de ces graves événements, le site merveilleux qui nous abrite n’a pas été profané. Des avions ont passé l’année dernière, en grand nombre sur notre localité. Aucune bombe n’a été lancée, ni sur la ville voisine ni sur nos maisons basses au milieu des champs. Mon estomac n’a pas encore bien souffert de privations. Je ne manque pas de vêtements. Et cependant, j’attends le journal avec inquiétude, les partis et opinions s’affrontent, la société subit une secousse terrible, les bases des civilisations sont ébranlées, des courants de flamme vont d’un bord de la planète à l’autre. Que verrons-nous encore ? Quel auteur viendra faire l’histoire de cette époque tragique ? De combien de volumes se composera cet ouvrage ? Toutes les nations y seront confrontées et jugées. Ceci n’appartient plus à l’histoire de tel ou tel pays, mais à l’histoire du monde. Verrons-nous les temps futurs et que seront-ils ? Moi, je ne prends pas parti, je trouve la situation très complexe, il ne faut pas décider sans savoir… »

Pour ma part, lors de mon travail de numérisation de la collection de La Maurienne, j’ai tenu entre mes mains les premiers exemplaires de 1939 comportant le visa de censure manuscrit de la sous-préfecture de Saint-Jean-de-Maurienne.

Quant à Victor Emmanuel III, en 1938, il a signé les lois raciales contre les juifs sous la pression de Mussolini, bien qu’il n’ait pas été considéré comme réellement antisémite. Cependant, contraint par l’appareil d’État et cédant à sa passivité, il ne s’y est pas opposé.

Actuellement, notre président nous répète que nous sommes en guerre, au nom de l’Europe, certainement pas l’Europe que souhaitait Victor Hugo et qu’attendait Delphine Gaden !

 

Guerre, censure, racisme… soyons vigilants s’il n’est pas déjà trop tard !

Jean-Michel Reynaud