Des rois de Sardaigne et d’Italie au village d’Albiez-le-Jeune, le pas est vite franchi pour ce qui me concerne, par mes recherches généalogiques, j’ai dû consulter les registres paroissiaux sardes (1820 à 1860) et rechercher des maires de la commune qui durant cette période étaient appelés syndics, sindaco = maire, en italien. Je ne suis donc pas hors sujet.
Après cette précaution, je dois en prendre une autre. Je vais parler d’Albiez-le-Jeune, à ne pas confondre avec Albiez-Montrond, composée de deux communes associées : Albiez-le-Vieux et Montrond. Au cours de mon mandat d’élu, combien de fois ai-je été irrité d’entendre parler d’ « Albiez », comme s’il coulait de source qu’il s’agissait d’Albiez-Montrond ! Cela dit, ce n'est pas pour raviver un conflit territorial entre ces deux localités qu’un procès opposa durant 400 ans, de 1600 au début du XXe siècle !
Je veux ici partager mes souvenirs d’Albiez (le Jeune !), car il me semble que ma génération, boomer d’après-guerre, a connu une période unique dans l’histoire : le passage entre le moyen âge et l’ère industrielle. À travers les récits qui m’ont été rapportés, la vie de mes parents et grands-parents, cette évolution est indiscutable, même si je force un peu le trait.
Très jeune, orphelin de père dès 1949, mes grands-parents me prennent en charge à Albiez afin de soulager ma mère, commerçante à Saint-Jean. Mon grand-père, Ignace Alphonse Olivier, né en 1891, il était ce que l’on appelait un double actif. Cantonnier aux Ponts et Chaussées, il tenait une petite exploitation agricole : deux vaches, deux chèvres, un cochon, des poules et des lapins.
Ma grand-mère, née en 1897, Eugénie Fontanel était issue de la famille Fontanel qui, au début du siècle, occupait l’ancienne maison forte de la Tour, tout au pied de la commune, en bordure des gorges du Merderel. Cette maison fut habitée plus tard par sa sœur, Marie Ducruez, surnommée la petite Marie.
Ignace Alphonse Olivier n’eut pas une vie facile ! Placé dès 7 ans dans une ferme avec pour tout salaire un frugal repas et une litière dans la grange, il ne put s’émanciper qu'en partant au service militaire en 1911. Affecté au 2e régiment de dragons, il eut à s’occuper de chevaux. Alors qu’il allait être libéré, la Première Guerre mondiale éclate. Il part au front, à cheval avec une lance contre les mitrailleuses allemandes durant les premiers mois du conflit. À la fin des hostilités en 1918, il ne sera pas démobilisé immédiatement, mais seulement un an plus tard, ayant été affecté à la répression des grèves parisiennes de 1919.
De retour à Albiez, il se mariera enfin, travaillera dans l’exploitation de son père avant de s’installer dans la petite maison qu’il occupera le reste de sa vie. Entré aux « Ponts », il prendra sa retraite en 1956, non sans encore avoir été mobilisé quelques mois en 1939.
Je l’ai connu alors qu’il était encore en activité sur la route dont il avait la charge d’entretien depuis Albiez jusqu’à sa jonction à la nationale 6, près de l’Usine Péchiney (on disait encore la Camargue à l'époque) à Villargondran. En ces temps, la route n’était pas encore goudronnée, juste empierrée. Je me souviens de lui avoir rendu visite à l'hôpital lorsqu'il fut victime d'un accident de travail au cours des travaux d'enrobage de la départementale 80, peu de temps avant sa mise à la retraite.
Quant à ma grand-mère Eugénie (le 2e empire était encore présent dans les esprits), ses conditions de vie ne furent guère différentes. Très jeune, elle fut régulièrement placée comme bergère à Valloire, à Bonnenuit. Elle m’a souvent conté ses voyages à pédestres, depuis la Tour, par Albanne, pour rejoindre ses alpages au pied du Galibier.
Je possède encore des écrits de l’un et de l’autre, qui, malgré leur enfance difficile, avaient obtenu leur certificat d’études. Leur orthographe, bien qu’imparfaite, ferait de nos jours, rougir bien des diplômés universitaires !
(à suivre)
Jean-Michel Reynaud