Au cours de mon récent séjour à Saint-Jean, je me suis rendu sous le porche de notre vénérable cathédrale, en prévision de la présente chronique. Vous l’avez compris, Biancamano n’est autre qu’Humbert aux Blanches Mains dont aucun Mauriennais n’ignore l’emplacement de sa sépulture (supposée), à l’endroit que je viens de citer.
Habitant dorénavant l’Italie, on me questionne souvent sur mes origines géographiques. Comment éclairer mes interlocuteurs sur la localisation de Saint-Jean-de-Maurienne ? Alors, j’ai pour habitude, lorsque je suis en présence d’un passionné de cyclisme, de citer le col de la Croix de Fer. Pour un amateur d’histoire, la dernière demeure du fondateur de la dynastie des Savoie, Humbert aux Blanches Mains, Biancamano en Italie. Un personnage plus connu là-bas, que chez nous, me semble-t-il.
Les origines de cet Humbert n’ont jamais été clairement établies, vraisemblablement franques, voire bourguignonnes. Il serait né peu avant l’an mil et mort entre 1047 et 1051 à Hermillon ? Certains historiens suggèrent qu’il pourrait être le fils de Bérold, proche d’Otton III. Avec ce personnage, nous ne sommes sûrs de rien, sauf qu’il fut le premier comte de Savoie. Un flou qui fut habilement mis à profit, selon les circonstances politiques en Europe, pour revendiquer à sa dynastie, des origines franques ou bien saxonnes.
À cette époque, deux grandes puissances cohabitaient : le royaume de Bourgogne, sur sa fin, et le Saint Empire déjà sur le déclin. Entre les deux, une zone stratégique : les Alpes en raison des cols, notamment du Montcenis. Sont donc puissants, ceux qui contrôlent ce passage. Pour s’en convaincre, citons Hannibal, Napoléon 1er, Fell, Sommeiller et encore aujourd’hui : TELT !
Il n’est pas exclu que Biancamano fût un puissant seigneur, de Maurienne d’abord, à qui fut confiée par Rodolphe III, roi de Bourgogne, l’administration de 22 châteaux dans le Viennois. En 1032, l’empereur Conrad II l'élève au rang de comte de Maurienne et du Chablais, ce qui lui permet de consolider sa puissance sur les passages alpins. C’est le début d’une dynastie qui, de comtes en ducs, puis en rois, règnera durant un millénaire.
Si Humbert aux Blanches Mains fut un guerrier efficace et valeureux, il s’est révélé diplomate avisé et fin négociateur. Il avait compris qu’il ne pourrait pas étendre son fief à l’ouest, alors il misa sur le côté italien. Sa première prise fut la vallée de Suse au Piémont, avec le mariage de son fils Oddon (ou Othon) avec Adélaïde de Suse. Ce sont ces deux aptitudes : la guerre et la diplomatie qui permirent à la famille des Savoie de perdurer aussi longtemps, que Louis XIV résume ainsi : « Ne jamais mettre fin à une guerre sous le même drapeau avec lequel ils l’ont commencée ».
Ah ! J’oubliais ! Pourquoi Blanches Mains ?
À vrai dire, on n’en sait rien ! Ce n’est pas parce que ses mains étaient blanches (maladie de Raynaud). On pourrait penser qu’il s’agit d’une métaphore soulignant l’honnêteté et la droiture du comte. C’est peu probable, car cette appellation date du XIVe ou XVe siècle. Une autre explication : il tenait en ses mains le passage des Alpes, ces hautes murailles blanches. Il se pourrait bien, également, que ce surnom soit la conséquence de l’erreur d’un moine copiste distrait. Allez savoir …
Il est à noter qu’il n’est pas le seul ainsi qualifié. Il y eut un certain Guillaume aux Blanches Mains, Guillaume de Champagne (1135-1202) et Iseult aux Blanches Mains, la belle du roman de Tristan.
Ma chronique serait incomplète si je ne citais pas le luxueux paquebot transatlantique italien : Conte Biancamano, baptisé ainsi en l’honneur du fondateur de la dynastie. Lancé en 1925 pour la compagnie maritime génoise Lloyd Sabaudo, il termina sa carrière en 1960. Il navigua durant la Seconde Guerre mondiale en tant que prise de guerre américaine sous le nom « d’Hermitage » pour le transport de troupes. C’est ce navire qui, en 1957, transporta le corps de Maria Maggi (Evita Peron) de Buenos Aires à Gênes, le gouvernement argentin voulant ainsi empêcher qu’elle soit vénérée.
Jean-Michel Reynaud.

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